Merde à Napoleon
Une traduction de la version anglaise qui suit.
Pour le spécialistes comme nous, c’était toujours Owen’s. Les autres pouvaient dire Université de Manchester s’ils voulaient. J’avais travaillé dur pour atteindre le niveau d’entrée, avec de bonnes grades d’A Level. On m’a souvent dit que le campus de la fac était nettement supérieur à la Scandinavie pour trouver les filles, et je ne comptais saisir l’occasion à des deux mains.
Tout le monde lorgnait Anna Ford, et même après qu’elle m’eut sourit lors de notre réunion de “Fromage et Bière” que le Club des Nations Unis organisait chaque vendredi midi, j’ai décidé de viser moins haut. Je m’étais inscrit à plusieurs sociétés de la gauche, dont Les Jeunes Communistes. J’avais raisonné que je n’y trouverais pas de racistes, et que donc le petit mec brun que j’étais ne serait pas désavantagé.
Les booms du Samedi soir sur la grande piste de dance du bâtiment des étudiants ne s’étaient pas avérés propices pour mes besoins. Je n’y ai trouvé aucune belle, blonde brune ou noire, mais j’y ai appris à distinguer entre les bières de ces couleurs, et de découvrir qu’elles me donnaient toutes, surtout du gaz, et affectaient mon élocution.
Les week-ends il y avait presque toujours une marche ou une manif. Contre l’Apartheid, Contre la Bombe, LaPluie d’Acide, Pour La Palestine etc. J’y trouverais certainement des âmes-soeurs, me suis-je dit.
J’ai fait ma pancarte, avec le texte:
VA TE FAIRE FOUTRE VERWOERD,
et de l’autre côté:
F — K YOU VERWOERD
Verwoerd en français se dit plus ou moins Verwout, mais je ne pense pas que cette subtilité ait frappé qui que ce soit.
Sauf Dany.
Nous étions sur Mosley Street, à côté du Musée dArt, quand elle s’est frayée un chemin vers moi.
‘Va te faire foutre Verwout! C’est magnifique ça,’ me dit-elle, ses jolis yeux brillant de joie. Je l’avais entrevue une ou deux fois, et avais remarqué qu’elle était ravissante, et apprenant qu’elle était Française m’a rempli de joie. J’aime beaucoup étaler ce que je crois être mon aisance avec la langue de Molière. Elle était une Erasmus de la fac de Grenoble, mais originaire de Lons-le-Saunier. Son père était syndicaliste et ses parents appartenaient au CP. Je lui ai dit qui j’étais et que j’étais en première année de Math.
‘Oh la! la! un matheu! Tu dois avoir un de ces cerveaux.’ J’ai hoché les épaules avec désinvolture. Dieu m’avait pris en charge.
Elle avait lu Paule et Virginie, me dit-elle, et elle aimerait bien voir l’ile Maurice un jour. Peut-être qu’on pourrait y aller ensemble, ai-je dit, et j’ai compris que ça ne l’avait pas déplu.
On partageait le même point de vue sur tout, l’invasion russe de la Hongrie, Cuba, Khrushchev. Elle aimait Brassens et Brel, Jean Ferrat et Barbara autant que moi. Je te refilerai mon dernier Brel, promit-elle. On a échangé nos coordonnées, et j’étais content de savoir qu’elle habitait à Fallowfield, à quinze minutes de ma piaule de Brighton Grove. La foule aidant, nos mains se sont touchées, et vif en action j’ai saisi la sienne et l’ai gardé dans la mienne. Elle m’a laissé faire, et j’ai commencé à la serrer gentiment, et à la caresser avec mon pouce.
On avait cessé de faire attention à la manif, sauf pour brandir ma pancarte de temps en temps.
Nous parlions cinéma, nouvelle vague, Truffaut ou Chabrol. Enfin nous avons abordé les guerres, et évidemment notre opinion de Hitler ou de Mussolini étaient identiques. Et Churchill? Elle m’a demandé. Un criminel de guerre, j’ai répondu, Dresden n’était d’aucune importance militaire. Elle était tout à fait d’accord. Idem pour De Gaulle.
‘Et bien sûr, ton Napoléon ne vaut guère mieux,’ j’ai surenchéri. J’ai senti un petit durcissement de ses doigts.
‘Pourquoi tu dis ça?’
‘Il était comme Hitler, cinq millions de vies perdues parce que monsieur voulait conquérir l’Europe_’ Elle a retiré sa main brusquement. ‘Mais non, tu dis ça parce que tu n’as aucun sens de l’histoire. Napoleon a redéfini la politique mondiale.’ J’ai compris que le moment était passé.
Et je n’ai pas appris ma leçon. J’ai perdu Beryl à Churchill, Miyeko à Pearl Harbour, Mbuyi à Mobutu, Egéa à Mussolini …
Pourtant j’ai fini par apprendre ma leçon. Quand plus tard j’ai rencontré une belle Finlandaise, je me suis empressé de lui dire toute mon admiration pour Mannerheim.
‘Ce facho,’ elle s’est écrié, ‘il a jeté ma tante Aili en tôle après la guerre civile, parce qu’elle appartenait au CP,’ dit-elle.