Le Cadeau d’Anniversaire
Par oubli je n’avais rien organisé pour notre anniversaire de mariage l’an dernier, et ai du me plier en quatre pour me faire pardonner. Ce n’est pas une expérience que je voudrais recommencer. J’ai donc pris des précautions cette fois, et me suis penché sur la question du cadeau parfait. Il fut un temps où elle priait à l’autel de Mammon, et je n’avais nul besoin de me ronger les méninges pour lui trouver l’offrande idéale. Je donnais ma carte à ma secrétaire Amy et lui chargeai d’acheter un joyau pour tant de milliers de pound, mais depuis son épiphanie verte, les choses se sont compliquées. Elle brandit son pacifisme avec aggression. On peut l’entendre parler de diamants comme les larmes des esclaves creusant les mines du Kimberley. Elle a dit en sa présence que la douairière Araminta de Hervey méritait d’être étranglée avec ses colliers de perles. Qui d’autre qu’Effie pouvait inventer de commencer un barbecue en jetant tous nos trésors en ivoire aux flammes? Elle est la maîtresse du grand geste.
Moi j’étais le pauvre gosse du HLM de banlieue, le catalyseur dans la soupe que les ingénieurs sociaux d’Eton préparaient afin de flotter leur prétention à l’égalitarisme, qui, après quatre ans au Caius’ College de Cambridge, a gagné son premier million à vingt-neuf ans, sans, pour autant avoir appris comment se comporter à table, ni la différence entre Picasso et Banksy. Mais j’avoue que j’aime l’opéra, et fais des dons réguliers au Scottish Opera. Par contre, Effie est née avec une cuillère d’argent dans la bouche, éduquée aux Cheltenham Ladies, recrutée par un chasseur de têtes pour Sotheby’s, avant de tout plaquer pour devenir volontaire du parti des Verts. Nos trajectoires sociétales se sont croisés à partir des directions opposées, la mienne en chute libre d’une position de socialiste égalitaire vers une aspiration d’ennoblissement_ ça résonne, Sir Mark Bates_ tandis qu’elle grimpait vers l’idéalisme quasi Gandhien, à partir du matérialisme du genre où tu veux mais pas chez moi.
Fort heureusement mes craintes de la voir se transformer en végane ne se sont pas matérialisées _ du moins pas encore_ comme elle aime trop le steak wagwu. Elle boude les maisons de haute-couture, et achète tout chez Oxfam ou Shelter, mais n’ayant rien perdu de son flair, personne n’aurait su que ses toilettes lui coutaient moins de dix pounds, si elle ne le proclamait pas sur le toit d’elle-même. C’est son seul charisme frappant qui fait taire ses interlocuteurs lorsqu’elle parle avec lyrisme de sa nouvelle foi en pontifiant sur ce qui est permis ou verboten. Suis-je un hypocrite quand j’affirme que je l’aime et l’admire davantage pour autant? Va savoir.
J’ai bénéficié du fruit d’un heureux hasard, la sérendipité. Lors d’un voyage d’affaire en Colombie, je m’étais perdu dans une ruelle de Bogota, et dans une petite boutique un magnifique collier m’a tapé dans l’oeil. Je n’en avais jamais vu de si beau. Et il y avait aussi bracelets, anneaux, broches et barrettes dans le même style.
Au Double Helix, il y a une attente de deux ans pour une table, mais Amy est une magicienne et aucun problème ne lui résiste, et c’était idéal pour notre dîner d’anniversaire. Nous avons siroté notre Kruger en grignotant du caviare Beluga, et avons fini par déguster le fameux homard hélix pour moi, et Kogoshima pour ma moitié adorée.
La soirée durant, je ne pouvais penser à autre chose que mon cadeau, à imaginer sa joie en ouvrant le joli paquet que je lui avais fait moi-même. J’étais redevenu le gamin de onze ans qui s’était engagé à deux tournées de distribution de journaux afin de pouvoir se payer cette châle en soie pour la quarantième anniversaire de maman, qu’elle avait porté jusqu’au jour de sa mort.
Après l’Armagnac, le moment d’échanger les cadeaux était venu, et je lui remis mes joyaux. Ses yeux se sont illuminés et je me suis entendu dire ces paroles banales, Je crois que tu vas adorer ça. Elle a commencé à déchirer l’emballage, et l’éclat dans ses yeux d’il y avait quelques secondes s’est métamorphosé en un renfrognement.
Tu sais ce que je pense de l’ivoire? dit-elle avec tristesse.
Ce n’est pas de l’ivoire, dis-je, c’est végétale, le tagua, un genre de palmier, Ça se mange, ça a le goût du noix de macadamia. Regarde comme c’est léger… Joyeux anniversaire, chérie.
Je ne pouvais pas m’empêcher cette petite boutade, “aucun éléphant a été mal traité durent le tournage de ce film.”
La n’est pas le problème dit-elle, tu sais combien je déteste la fausse fourrure, c’est pareil, ça encourage _. Elle s’arrêta brusquement et secoua sa tête.
Mais qu’est-ce que je suis idiote, mon cheri, excuses-moi, je devrais te remercier pour ta gentillesse, tu as trouvé le cadeau parfait, et ta petite femme idiote grimpe sur ses grand chevaux …
Non, je comprends parfaitement ta position, mais_
Non, je te jure que j’adore ça.
Le trajet du retour à la maison se fit pourtant dans le silence.
Le lendemain matin, au petit déjeuner, je fis un dernier effort pour sauver les meubles.
Je ne suis pas en train de te dire d’afficher le tagua chaque jour, mais tu pourrais les porter à cette soirée de l’ambassade Belge ce soir. Rishi y sera.
Ça l’a fait se marrer.
Qu’est-ce qu’il y a de drôle?
Je m’étais réveillé pendant la nuit, et prise de fou rire elle n’arrivait plus à continuer. J’ai commencé à me vexer, et elle fit un gros effort pour s’arrêter.
J’avais un telle faim mon cheri … c’est vrai que ça a un goût de macadamia…